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claude bourrinet - Page 8

  • Les intermittents du chaos...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Claude Bourrinet publié sur Voxnr et consacré aux bons petits soldats du système que sont intermittents du spectacles ou autres clowns transgressifs et artistes de rue décalés...

     

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    Les intermittents du chaos

    Jeudi 9 juin, Quimper. Le spectacle n’annonçait réjouissant. Pensez-donc : des clowns ! Les collégiens s’en pourléchaient le zygomatique. Le titre de la prestation était bien en anglais : Christmas Forever, mais bah ! il ne faut pas être plus royaliste que le roi… Drôle de nom, quand même, pour une troupe italienne : Tony Clifton Circus. Mais re-bah !, Johnny est bien considéré comme un chanteur national. Et puis, nos pré-ados en ont eu plein les mirettes : d’abord une grosse limousine noire qui se gare.

    Mais voilà comment un témoin, le principal du collège, raconte la suite : « On a eu affaire à quelque chose de totalement surréaliste et d'invraisemblable. Subitement, la troupe a commencé à balancer des paquets de cigarettes dans la foule alors que nous nous battons toute l'année contre le tabac. Une poupée gonflable a fait son apparition puis un homme complètement dénudé. C'était de la provocation. Les élèves étaient atterrés et choqués. Ce spectacle n'avait pas sa place dans une cour de récréation. »

    Les réactions ont été, et tant mieux !, très virulentes, de la part des parents, des autorités, et la reprise du « spectacle » a été annulée.

    A vrai dire, c’est la surprise qui est surprenante. Certains coins de France sont tellement habitués à ce genre de plaisanteries de mauvais goût qu’on n’y fait même plus attention. La presse, d’ailleurs, s’empresse d’applaudir à des performances festives qui « décoiffent », font « penser », « font table rase des préjugés », « animent les rues trop tristes » etc. Toute la topique du libéralisme potache et cucul y passe. Et nous sommes contraints, comme pour l’art contemporain, d’acquiescer, sous peine d’être taxés d’ « archaïques », d’ « incultes », de « réacs », voire de « cons ». On nous dit que c’est le monde d’aujourd’hui. On veut bien le croire.

    A quoi servent donc ce qu’on a l’habitude d’appeler les « intermittents du spectacle » - terme trop large, auquel qu’il vaut mieux, en l’occurrence, adjoindre la précision « de rue » ?

    Il faut se défaire de préjugés culturels, historiques et politiques.
    Le premier discours attendu, pour celui qui a encore une vision du théâtre marquée par l’après-guerre, serait celui de la Culture, de l’humanisme militant, de l’éveil du peuple par la transmission de la beauté et du savoir. Cette ligne est directement héritière de la génération de Jean Vilar, qui plaçait haut le métier d’artiste. Mais il faut se résigner à constater l’émergence d’un autre type de spectacle, qui relève de l’entertainement, du divertissement, parfois prétentieux lorsqu’il dérive vers l’agit prop. , ainsi qu’il s’avère avec le théâtre de rue, souvent de médiocre prestation. Et quand s’y mêle un discours idéologique, il est plaqué sur les poncifs de la nouvelle classe moyenne. Dans le fond, la rhétorique et l’éthos des luttes d’intermittents épousent la vision libérale mondialiste. Les nouveaux héros sont les sans papiers, les journalistes, les ONG, les sidéens, les homosexuels etc. La dialectique du réel est remplacée par une approche compassionnelle, droitdel’hommiste, où la victime a toujours raison. Dans les pratiques culturelles, le livre et la tradition (celle de la classe ouvrière) sont passés à la trappe de la néophilie, et les nouveaux moyens de communication, l’information par réseaux, la posture « rebelle » sont des marqueurs obligés. Les valeurs libertaires, contestataires ont été retournées comme des gants pour servir à la déterritorialisation, au déracinement, à l’émergence des flux marchands. L’intermittent du spectacle moderne est ignorant au sens classique, mais empli de vents médiatiques. Au lieu de lorgner sur Moscou ou Pékin, il a pour New York ou la Californie une préférence marquée. Il aime la langue anglaise, les goûts esthétiques anglo-saxons.
    La haine des intermittents du spectacle pour les nationalismes (sauf certains) ou tout simplement les frontières, le patriotisme, les traditions, le passé, relève d’une mentalité complètement attachée à l’idéologie marchande contemporaine, jusqu’à lier flux des choses et flux des hommes, nomadisme et liberté absolue.

    Il faut dire que la société marchande est friande d’un fait culturel qui lui rend tant service. Le nombre d’entreprises culturelles a subi une augmentation spectaculaire : de 1996 à 2003, par exemple, elle a été de 42% (jusqu’en 1999, le rythme annuel a été de 3%, puis à partir de 2000 de 6,5%, le spectacle vivant a crû de 54% de 1996 à 2000, contre 28% pour l’audiovisuel.
    Ce phénomène s’explique par ce que Philippe Muray nomme l’assomption de l’homo festivus. Les festivals se sont multipliés, les villes et les départements, les régions ont voulu attirer un public varié, souvent estivant. C’est là un secteur économique non négligeable, qui nourrit l’argumentaire des « luttermittents ». Ces entreprises hautement commerciales véhiculent un message très clair, tout à fait compatible avec la société libérale : il faut détruire le vieux monde, instaurer celui du jouir immédiat, de l’éternel présent, disloquer par des mises en situations décalées, « déjantées », les certitudes habituelles, les valeurs traditionnelles, et, comme l’explique bien Muray, occuper le territoire urbain pour le rendre invivable (qui a fréquenté un festival de spectacle de rue sait de quoi je parle). Derrière le paravent « ludique » (mot tarte à la crème, s’il en est) se dissimule une stratégie idéologique extrêmement élaborée, le pendant de celle des entreprises Walt Disney, dont l’alpha et l’oméga est de convaincre qu’il suffit de peu (de « délire ») pour rendre la société de consommation formidable. Les faux airs rebelles, qui s’attaquent surtout aux « beaufs », et réjouissent les ados en leur faisant croire qu’ils s’engagent, malgré leur superficialité stupéfiante, donnent un crédit fallacieux à ce business déstabilisant. Et quand bien même on voudrait, par mauvaise foi, que certains spectacles soient, comme l’était l’agitation soixanthuitarde, « subversifs », il suffit de rappeler que de nombreuses communes ou départements, qui ne sont bien sûr pas révolutionnaires, mais qui obéissent à des objectifs clientélistes ou électoraux, tombant ainsi dans le pire snobisme, financent généreusement ces agressions contre le bon goût et la société. Nous en sommes là : bêtise ou cynisme, militantisme ou intérêt, les autorités de notre pays contribuent à défaire ce que des siècles ont construit, dédaignant par ailleurs des types de spectacles autrement plus valorisants, mais qui ont le malheur, à leurs yeux, d’être « ennuyeux ». A moins qu’on ne reprenne Carmen et Le Cid pour en faire des plaisanteries d’après soûlerie de fin de semaine.

    Il faut dire que cette « esthétique » est parfaitement adéquate avec les réquisits du nouveau capitalisme. La « praxis » professionnel des intermittents correspond étonnamment aux nouveaux rapports sociaux-économiques. Le personnage romantique du saltimbanque a été remplacé par le travailleur créatif et flexible, emblème du management issu des années 70. La création artistique est en effet revendiquée par le nouveau capitalisme, soit dans le domaine productif, soit dans le domaine sociétal. Elle irrigue par la publicité hédoniste, ludique, l’imaginaire des consommateurs, et l’art « contemporain », sous toutes ses formes, lui offre des thématiques idoines.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 12 juin 2011)

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  • Fessée et contrôle totalitaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, publié sur Voxnr, consacré à la campagne télévisée de la Fondation pour l'enfance qui milite en faveur de l'interdiction de l'utilisation des claques et des fessées dans l'éducation des enfants.

    Pendant des semaines, l'"empire du Bien" va marteler son message : "La violence engendre la violence". Comme le souligne Natacha Polony, dans un excellent article publié sur son blog, Eloge de la transmission :

    "Le plus grave réside évidemment dans la manipulation intellectuelle dont relève ce message. Grave, parce qu’il s’agit de focaliser l’attention sur des gestes, gifles et fessées, qui sont courants, pour faire croire que les parents qui en usent sont des monstres, au même titre que ceux qui attachent leur enfant à un radiateur ou lui assènent des coups de ceinture. Le meilleur moyen, bien sûr, de laisser ceux-là agir en toute impunité.[...] Les milliers d’enfants qui verront ce petit film (car le premier renoncement au bon sens se manifeste face à cette télévision qu’on laisse allumée devant eux) comprendront parfaitement le message : sanction et brutalité aveugle sont de même nature, et le parent qui voudrait leur imposer quoi que ce soit, éventuellement par la force, est un bourreau. Détruire ainsi l’image d’un parent aux yeux de son enfant est une grave responsabilité. Car on ne sait jamais quels modèles de substitutions celui-ci se choisira."

     

     

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    Fessée et contrôle totalitaire

    Une campagne télévisuelle destinée à dénoncer les réprimandes corporelles perpétrées par les parents contre leur progéniture va sévir à une heure de grande écoute publicitaire. On voit à l’occasion une charmante maman péter les plombs et gifler sa mignonne fillette braillant comme un porcelet qu’on égorge, sous l’œil chagriné et désapprobateur de la grand-mère, qui va finalement compatir à la détresse de l’exécutrice des basses œuvres. Parce que pour l’idéologie dominante, héritière d’un Socrate parfois mal inspiré, il n’existe pas de véritable méchanceté, il n’y a que des personnes qui se trompent. Le mélodrame est tout trouvé : la victime n’est pas tant l’être qui éprouve la violence que celui qui l’engendre, car l’erreur rend malheureux, et, dans notre société où les excès sont traduits en termes cliniques, tout égarement est signe de maladie. Le scénario est donc conçu pour ne diaboliser personne, la scélératesse relevant d’un imaginaire quasi fantasmatique, presque hors du monde, innommable, livrée au monde légendaire des Hitler et des Staline, lesquels règnent en enfer aux côtés de Belzébuth. Mais nous sommes, en ce glorieux 21e siècle, qui voit le triomphe du dernier homme, entre gens biens, normalement voués à prendre leur pied dans les parcs d’attraction, à communier dans les supermarchés, et à n’imaginer de fessée qu’entre adultes consentants.

    Si l’on voulait pousser le vice jusqu’au petit bout, il nous faudrait invoquer notre Jean-Jacques Rousseau, qui, crypto-calviniste, comme certains contempteurs de la fessée, n’était pas avare de contradictions, notamment entre une conception irénique, idéaliste, béatifiante, de l’homme, vu comme un bon sauvage égaré dans la civilisation mauvaise et corruptrice, et les faits, rien que les faits. Par exemple, que l’homme est naturellement violent, ce qu’aucun psychologue, aucun psychiatre ne niera, et que même cette violence, à condition qu’elle soit canalisée et obéisse à des finalités de sociabilité, peut s’avérer utile. Au fond, on voit des animaux supérieurs utiliser la patte, la griffe ou le croc pour corriger, éduquer les petits, et l’être humain user de ce moyen depuis l’aube des temps, sans qu’on y ait trouvé à redire.

    Au moins, si nos puritains, qui veulent rendre l’homme, ce pécheur involontaire, parfait, propre et reluisant comme un article des droits de l’homme, avaient argué des conséquences perverses d’une correction appliquée au bon endroit. Ne voyons-nous pas notre Rousseau jouir à dix ans des mains sévères de Mademoiselle Lambercier, et avouer qu’il ne peut prendre de plaisir sexuel que de cette façon-là ? On est bien fesse-mathieu ! Voilà pourtant qui pourrait accroître le marché du sexe, lequel se porte bien dans l’univers des tartuffes libidineux qui s’occupent de nos fesses. Ce sont ces gens qui considèrent que la condition de travailleuse sexuelle est légitime, et doit même contribuer aux ressources de la sécurité sociale, tout en s’inquiétant, sur le ton indigné qu’on connaît bien, de l’intégrité de femmes abandonnées au dangereux environnement machiste. Ce sont ces eux aussi qui désirent préserver l’innocence des enfants, si tant est qu’une telle singularité existe, et qui les livrent aux jeux vidéo ultraviolents, à une télévision débilitante, à une accumulation sans bornes d’images pornographiques, invoquant dans la rhétorique jésuitique qui est la leur, la liberté du consommateur, celle du marché, et la réalité de temps permissifs.

    Ce qui ne les empêche pas de s’immiscer de façon intolérable dans l’univers privé de la famille. Déjà, dans certains pays scandinaves, les enfants ont le droit de dénoncer leurs parents et de leur intenter des procès. Par la même occasion, l’Etat obtient le droit de juger de l’éducation que donnent les adultes. D’aucuns, il y a quelques années, auraient même voulu traîner devant les tribunaux ceux dont les enfants auraient proféré des propos jugés racistes. Le délit de mauvaise éducation ne va pas tarder à être instauré. On croyait ces abus propres aux sociétés totalitaires, pourtant si dénoncés dans nos régimes « démocratiques ».

    En fait, si l’on écarte les cas notoires (il n’y a qu’à ouvrir les yeux et les oreilles) des dérangés du bocal, qui semblent prospérer parmi notre élite travaillée par les tensions contradictoires de la répression et de la permission, du contrôle universel et de l’anarchie marchande, et si l’on met aussi de côté les lubies pudibondes, nombreuses chez les scandinaves et les anglo-saxons, les travaillés du droit-à, et les fanatiques d’une société écologiquement purifiée, dont certains, comme on le sait, boivent abondamment de l’alcool fort, sans doute pour se fouetter le sang, ou s’hallucinent avec certaines substances, pour se donner des airs de Big Brother planant, on mettra en parallèle cette entreprise ubuesque avec d’autres qui visent à dénoncer les mâles (souvent de type européens) qui violentent les femmes, les Occidentaux (souvent blancs) qui maltraitent les sans papiers ou les enfants du tiers-monde, ou encore les personnes d’une autre race, les chasseurs, qui massacrent vilainement les animaux et, de toute façon, ont le tort d’être des beaufs, les curés, qui sont tous des pédophiles, les profs, qui se lèvent le matin en tirant au sort les élèves qu’ils tortureront dans la journée, les flics, qui sont d’affreux gestapistes … bref, qui s’en prennent à tout ce qui, de près ou de loin, paraît tenir lieu d’autorité ou de modèle susceptible de lier le présent au passé, et d’asseoir, si tant est que ce soit encore possible, la société européenne sur une base quelque peu solide.

    Le symbole vaut ce qu’il peut. Mais quand les parents ne pourront plus donner de gifle à leurs enfant, le marché aura le loisir absolu de leur foute un bon coup de poing dans la gueule.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 28 avril 2011)

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  • Marine Le Pen et la gauche paradoxale...

    Nous avons reçu en commentaire de notre note Des lignes qui bougent ?... ce point de vue fort intéressant de Claude Bourrinet.

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    Marine Le Pen et la gauche paradoxale

    Les causes du « malaise »
    Le titre de cet article est à double entrée : la copule « et » peut en effet s’entendre comme un signe d’opposition, mais il peut aussi s’interpréter comme un lien d’équivalence. Dans le premier cas, le terme « gauche » fait référence à la mouvance officielle qui le revendique comme un label ; dans le second, il traduit une connivence avec le peuple, contre une oligarchie qui lui est antithétique.
    Le malaise qui travaille au corps la caste politique actuelle, face à la montée d’un populisme contestataire, trouble d’abord les champions historiques, et pour ainsi dire institutionnalisés, des « exploités » et des « opprimés », mais qui gêne aussi la partie adverse, qui leur fait face comme dans un miroir, et qui joue avec eux cette musique en boucle qu’est l’alternance. Il  prend sa source surtout, plus que dans un « danger fasciste » fantasmé, dans la confusion de mots, dans l’usage d’un discours brouillé dont on voit bien qu’il a perdu son efficace.
    La sphère politique étant constituée autant d’images que de discours, il semble évident que le choix des vocables, et les connotations qui y sont attachées sont primordiaux.  En outre, il s’agit là d’un univers éminemment symbolique, à même de motiver des engagements forts, et peut-être plus lisible pour les masses que la pertinence d’intérêts véritables, qu’il est parfois difficile de démêler dans l’embrouillement des évènements. Or, si les mots dénotent, et ont donc une attache avec le réel, il s’en faut parfois de beaucoup pour qu’imaginaire et emblèmes y correspondent et s’y adaptent comme des gants à une main. Le plus souvent, le réel rejoint avec retard l’expression discursive  qui a tendu à le remplacer, parfois même jusqu’à l’invalider, le périmer ou le faire éclater.
    C’est justement ce qui est train de se produire avec l’extension, l’approfondissement et la consolidation du votre Front national, qui est en quelque sorte une immixtion du réel dans le jeu hautement virtuel du politique.

    Une « modernité » conquérante
    A trop user de la terminologie journalistique, qui consiste à donner une certaine crédibilité aux pétitions de principes, on perd la vérité du monde. Il n’est qu’à dire ce qui est, de façon tautologique, comme l’enfant qui clame que le Grand duc est nu. Ainsi la « droite » n’est plus, depuis longtemps à droite, et s’est spécialisée dans la gestion libérale et mondialisée de l’économie, n’ayant plus à cœur que de promouvoir la productivité du pays. Et la « gauche » ne défend plus le peuple.
    Laissons les premiers, qui inspirent pitié par leur pauvreté idéologique, car on ne ferait, en analysant le contenu de leurs propositions « sociétales », que retrouver en substance le programme de la « gauche », à savoir un abandon totale des barrières morales, culturelles et sociologiques, lesquelles avaient le tort d’empêcher la modernité d’exercer les ravages que l’on sait. L’application de la vulgate libérale n’a jamais produit des œuvres de génie dignes d’être retenues par l’Histoire. Le libéralisme, c’est l’homme perçu à travers son estomac et ses parties génitales, et sa réduction démoralisante à ses stimuli animaux.
    La « gauche » a visé plus haut. Elle s’est voulu l’héritière, comme sa sœur libérale, de l’idéologie des Lumières, mais dans une version plus idéaliste, plus rhétorique, plus messianique, bien que le projet libéral promît aussi de son côté l’avènement d’une société d’abondance, seule apte à porter le bonheur chez les hommes.
    L’évolution politique, depuis 89, au-delà du simple positionnement dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, qui a engendré les termes « droite » et « gauche », a été un progressif détachement, marqué par des chocs révolutionnaires, des problématiques attachées à l’Ancien Régime. Une fois que l’hypothèque monarchiste a été balayée, ne sont restés en présence que les partisans de la « modernité », même si on ne plaçait pas exactement la même idée derrière ce vocable. L’essentiel était que la solution aux maux de la société se trouvait devant, dans un avenir qu’on espérait radieux.
    Or, d’un côté comme de l’autre, du côté « libéral » comme du côté « socialiste », la conséquence a été une dépossession quasi complète de ce qu’avait en propre le peuple, c’est-à-dire le sentiment d’une communauté, d’une solidarité qui lui permettait de résister aux assauts de l’industrialisation et de l’urbanisation.

    La dépossession du peuple
    La marche irrésistible de l’industrie a jeté dans la misère et l’acculturation le peuple paysan, qui s’est parfois soulevé contre le progrès, par des révoltes, des grèves ou simplement en cassant les machines. Ces actions ont pris parfois une résonnance « réactionnaire », et ce que Marx a nommé « socialisme utopique » peut se lire comme une nostalgie programmatique d’un passé idéalisé. L’anarchisme, le syndicalisme révolutionnaire ne peuvent se comprendre aussi que comme cette tentative de sauver, dans la classe des artisans le plus souvent, les traditions de corps et une culture populaire mises à mal par la massification d’une économie de plus en plus déracinée et anonyme.
    Ce n’est certes pas un hasard que la « gauche », en se faisant le porte-parole des revendications populaire, n’a eu de cesse de combattre cette mouvance libertaire incontrôlée, que l’on accusait de confusionnisme, et qui du reste connut en son sein, notamment chez d’anciens communards,  la tentation du boulangisme et de l’antisémitisme.
    Le républicanisme avait pour vocation de gommer les frontières de classes. Pour lui, le peuple était un bloc, à l’exception de quelques archaïsants irréductibles. Le notable patriote s’adresse à la Nation, et veut concilier tous les intérêts. Or, bourgeoisie et prolétariat en vinrent à s’affronter. Naquirent alors les « socialistes », militants spécialisés dans la revendication, porteurs de prophétisme grandiloquent, et même lestés d’une doctrine à prétention scientifique, le marxisme. Nous assistons là à la deuxième dépossession des masses populaires, surtout après l’institution, à la suite de l’Affaire Dreyfus, d’une nouvelle caste, d’un clergé laïque, les « Intellectuels »,  qui va porter la parole sainte au milieu des ouvriers, et s’attachera à les éduquer, ou du moins à leur indiquer la bonne direction. Tous les comités qui vont fleurir à la suite du Front populaire, et qui se nourriront du mythe fallacieux et mortifère de l’Union soviétique, ce paradis rouge, confisqueront la parole prolétarienne, pour l’instrumentaliser et en faire une légende. Les « acquis » tant vantés n’ont été conquis que pour être vite récupérés par la classe marchande, et, ce qu’il en resta ne fut toléré que parce que cela correspondait aux nouveaux réquisits keynésiens de la société d’abondance.

    L’ultime dépossession
    Les partis politiques sont des machines à sélectionner une noblesse d’appareil, et à produire, par des slogans et des mots d’ordre, un semblant de discours qui trahit ou étouffe la parole populaire.
    Ce système hégémonique, bien qu’en perte d’influence depuis l’abandon des « grands récits » idéologiques, a permis la persistance d’une bureaucratie de spécialistes, qui se cooptent et contrôlent la société. Cette maîtrise douce et astucieuse de l’opinion, qui s’est donné le luxe d’un semblant de débat, incarné par le jeu de l’alternance, a été très utile quand il s’est agi de préparer, ou plutôt d’imposer au pays le tournant mondialiste, l’intégration au nouvel ordre libéral. Dans les faits, la « gauche » et la « droite » se sont rejoints sur cette cause, notamment par le truchement du projet d’union européenne, qui a été, une fois l’hypothèse de l’Europe puissance abandonnée, la porte de sortie par laquelle toutes les attaches identitaires ont été rompues. De là une difficulté récurrente à marquer des différences, sinon par des étiquettes qu’on agite et auxquelles seuls croient les journalistes.
    La nouvelle classe hégémonique communie dans l’instauration d’une société résolument moderne, moderniste, destructrice, dévastatrice. La famille, la patrie, le syndicalisme, les vieilles revendications de solidarité, de vie en commun, le simple désir de se retrouver sur un terrain civique qui inclut des impératifs de combats, bref, le veux monde, tout cela est non seulement déconstruit comme un témoignage d’un passé méprisé, mais même entaché de soupçon, comme si regarder en arrière en déplorant la perte de l’authenticité était un signe d’appartenance au fascisme. C’est ainsi qu’on a loué les familles recomposées en ignorant la souffrance enfantine, qu’on a promu la permissivité en regrettant hypocritement la violence sexuelle, qu’on a voué aux gémonies l’art ancien au profit d’un art dit « contemporain » qui, quand il n’est pas pure spéculation, n’est qu’une machine à araser les goûts et les imaginations, qu’on a abandonné l’idée de Nation, si antique, au nom d’un magma cosmopolite où seule l’élite « nomadisée » se retrouve, qu’on a prêché un hédonisme de bazar, qui rabaisse l’individu et enlève de son esprit le sentiment de l’héroïsme, du sacrifice, et même toute énergie, qu’on a encouragé, au nom de l’humanité, une immigration de masse, provoquant ainsi la baisse des salaires et la dévastation de vastes territoires de la République, qu’on a vanté la culture « jeune » en ouvrant grand les portes à l’américanisation de la France, en rompant les solidarités générationnelles tout en donnant comme modèle l’individualisme, l’égoïsme et le cynisme. Il faut ajouter à cela le profond mépris dont font l’objet toutes les résistances qui voient le jour, et que des humoristes vendus ont traînées dans la boue en les accusant d’avoir pour auteurs des « beaufs », des « Dupont-la-joie ».
    C’est dans ce qu’il reste du peuple, après ce travail destructeur entrepris par la « gauche » et la « droite » réunies, que gît encore le respect de la famille, de la patrie, de la langue française et de l’autorité naturelle. Pour combien de temps ?
    Ce n’est donc pas un paradoxe d’avancer alors que Marine Le Pen est la seule, dans le monde politique, à se trouver à « gauche », si être à gauche est défendre le vrai peuple.

    Claude Bourrinet (17 mars 2011)

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  • Des hommes, des dieux et des commentaires...

    La publication du texte de Marie-Thérèse Bouchard, Des mous et des dieux, consacré au film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, n'a pas laissé certains de nos lecteurs indifférents !... Nous publions ci-dessous une belle réponse de Claude Bourrinet.

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    Evidemment, aimer un film que le grand public semble consacrer n’est pas de bon aloi. Des navets récoltent trop souvent les lauriers d’une notoriété frauduleuse. Mais cette fois-ci, le bon goût est au rendez-vous, et, beaucoup plus rare, la spiritualité la plus exigeante. Et ce qui en résulte, c’est une émotion exempte de démagogie, de facilités cynique, de ce machiavélisme qui fait pleurer Margot. Qu’en aurait fait Hollywood ? L’art du cinéma authentique consiste à nous confronter à la vérité. Par le mensonge de l’art, précisément, mais à condition qu’il soit aussi généreux qu’un conteur qui dit le conte, qui entre dans l’âme en respectant les yeux et les oreilles.

    Là, nous sommes vraiment face à Dieu, et avec les hommes.

    Xavier Beauvois avait fait un pari, très risqué. Celui d’être lui-même, de rendre franchement la réalité vécue d’une tragédie. C’était un défi presque irréalisable, car, de fraîche mémoire, le sacrifice consenti de moines cisterciens-trappistes dans un pays qui reste encore si douloureusement présent dans notre Histoire, aurait pu clapoter dans le docu-fiction, le facsimilé de reportage racoleur, l’enquête réaliste mensongère, qui cache autant de roublardise qu’un journaliste du petit écran. Là, on est en plein dans le monde, tel qu’il est, et largement au-delà, dans l’éternité, qui est peut-être la seule réalité.

    L’image est une éthique, en effet, et ses mouvements, son rythme, son cadrage. Quelques panoramiques sur les âpres collines du Nord Atlas, paysages filmés, nous dit-on, au Maroc, mais si semblables à ceux de l’Algérie, violente terre qui reste comme une boule au creux du ventre. On partage le regard, le sublime, l’extase. Et puis ce sont les interstices misérables de maisons jamais finies, les ruelles boueuses, les escaliers ruinés, les murs effrités, et la chaude communauté nord africaine, si massive, dans le Bien comme dans le Mal.

    Et ce sont encore des couloirs fuligineux, des cellules en désordre, la pauvreté assumée, une existence vouée au travail qui rapproche des hommes, à la prière qui offre à Dieu.

    L’art subtil du film est d’interpénétrer les deux, insensiblement, par touches successives, comme autant de tableaux d’un chemin de croix, avec la fin prévisible, l’holocauste accepté. On suit, on partage, on comprend ces hommes dont la chair hésite face aux couteaux. La sauvage tuerie du début, l’égorgement de Croates sur un chantier, comme les moutons qu’on saigne à l’Aïd, nous rappelle à la réalité nue, celle de la mort annoncée. Les hommes sont des êtres pour la mort. C’est dire que l’horizon de tout être, peu ou prou, reste la disparition irrémédiable, et la fin d’un corps qui nous est toujours à nous-mêmes présent, même s’il nous est parfois source d’embarras. Car de lui naît le désir, et d’abord de vivre, de voir la lumière du jour, l’appel de l’aube, la fermeture du soir. Et y compris le ronflement en est le souvenir lors même que le sommeil semble nous en éloigner.

    Toute notre société nous conseille de le sauvegarder, ce corps. Ses plaisirs, ses sophismes, ses vérités mêmes persuadent qu’il n’est pas de plus grand bien que la vie. Et c’est bien sûr vrai. Mais qu’est une vie qui se prend comme centre ?

    L’intérêt du film provient en effet de la découverte progressive de l’inanité d’une existence qui se suffirait à elle-même. La lâcheté, la réticence à mourir, la peur de la douleur, la frayeur devant des hommes en armes, redoutables guerriers sans pitié, d’une religion qui se veut ennemie, des tortionnaires, des terroristes enfin, tout cela ramène à l’humain tremblement des chairs, à l’angoisse qui serre la poitrine et fait vaciller la voix. Car ces moines ne sont pas des héros. Nulle faconde. Petit à petit, nous nous sentons comme eux, à leur place, et sans doute partisans de ceux qui veulent fuir. Et soudain, l’évidence : une vie ne vaut rien sans autre chose, qui la transfigure. Bien sûr, ce sont là des mots, et il faut être croyant pour placer Jésus Christ au centre du questionnement. La réponse aux questions n’est d’ailleurs jamais capturée, comme dans des filets, par de hardis pêcheurs sûrs de leur technique. Au contraire, elle vient d’elle-même, et ce n’est pas l’une des moindres surprises du film qu’elle surgit dans la joie. Après, tout peut arriver. L’existence paraît légère, la liberté rend fort.

    Philosopher, c’est apprendre à mourir, disait Socrate. Le film « Les hommes et les dieux » nous transporte en pleine Antiquité. Ou plutôt, c’est le problème éternel de l’homme qui se pose, de donner sens à sa vie.

    Par là peut naître la vraie fraternité. Non celle qui orne les plateaux télé, mais celle qui vient de l’épreuve, et d’une rencontre entre des hommes qui croient en quelque chose. On songe aux face à face homériques, aux échanges de dons entre héros. Le sang peut ainsi être ce don, pour que s’entrevoit, au moins, deux religions que d’aucuns voudraient qu’elles s’entretuent. Les Talibans sont d’un côté comme de l’autre, et trouvent leur bonheur dans le massacre. Trop de malentendus sont attisés pour des intérêts douteux. Les Islamistes, comme les fondamentalistes chrétiens, prospèrent sur des montagnes de morts. Les très belles images d’amitié entre chrétiens et musulmans plaident pour l’inverse. Je crois profondément que les civilisations, par leurs religions, leurs traditions, peuvent se retrouver par le haut. La contemplation, le sacré, la beauté, l’acceptation de l’humaine condition, exactement le contraire de la civilisation de consommation actuelle, sont les valeurs qui sauveront le monde.

    Claude Bourrinet (2 décembre 2010) 

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